Interview d’Ambassadeur – David Minetti
février 13, 2024Bonjour Gaël, qu’est ce qui t’as incité à choisir le saxophone comme instrument de prédilection et à devenir musicien professionnel ?
Je suis originaire de Caen. Mon père, comédien de métier, nourrit une passion pour le jazz. Grâce à mes parents, j'ai eu la chance d'assister à de nombreux spectacles et concerts dès mon plus jeune âge, ce qui m'a permis d'apprécier la musique live très tôt. D'ailleurs, mes grands-parents du côté paternel étaient des musiciens amateurs. C'est avec ma grand-mère que j'ai commencé à jouer de la flûte à bec dès mes 6 ans. L'école primaire où j'ai étudié, bien que petite, avait une particularité : deux de nos instituteurs étaient saxophonistes. Ils avaient pour coutume de donner un concert de saxophone à l'occasion de la fête de l'école. J'ai donc délaissé ma flûte à bec pour un saxophone alto vers l'âge de 8 ans.
Quels conseils donnerais-tu à un jeune souhaitant se lancer dans l’apprentissage du saxophone ?
La régularité est selon moi le maître mot. Mon père m'avait instauré une discipline : jouer au moins 20 minutes chaque jour après l'école. Sur le long terme, cette constance s'avère vraiment bénéfique. Apprendre un instrument demande une grande exigence : il faut synchroniser ses mouvements, adapter sa morphologie, développer une musculature spécifique et assimiler le langage musical. Cette rigueur est indispensable pour maîtriser tous ces aspects. Les premières années d'apprentissage peuvent être difficiles et moins gratifiantes, d'où l'importance de commencer jeune et de maintenir une pratique régulière.
J'ai eu la chance d'avoir comme professeur Jérôme Valognes à Caen, un saxophoniste de jazz reconnu localement. Nous suivions une méthode pour apprendre les doigtés, mais, à vrai dire, je n'arrive plus à me souvenir du titre ; c'était aux alentours de 1985 !
Quels sont les grands courants du Jazz et artistes qui t’ont le plus inspiré ?
Dès l'âge de 8 ans, j'ai été initié au jazz grâce à la collection de disques de mon père. Dans ma chambre, j'avais un tiroir débordant de cassettes audio et un petit magnétocassette qui tournait en boucle. Mes premiers kifs musicaux comprenaient des légendes comme Sidney Bechet, Bill Coleman et Duke Ellington. Puis j'ai découvert Charlie Parker, Coleman Hawkins, Sonny Rollins et Cannonball. Ce n'est que vers 18 ans que je me suis plongé dans l'univers de Coltrane, Monk, Jackie McLean, et d'autres. Ma trajectoire musicale m'a permis de parcourir l'histoire du jazz, depuis ses origines jusqu'aux années soixante-dix.
Comment la musique a-t-elle façonné ta vie en dehors de la scène ?
J’ai décidé de devenir musicien professionnel à 17 ans. J’avais démarré des études d’ingénieur mais j’ai vite compris que ce mode de vie ne me conviendrait pas. Depuis cet âge, la musique est devenue centrale dans ma vie. La première chose que je me demande le matin c’est « où et quand je vais pouvoir pratiquer » et « quand sera le prochain concert ».
Mon parcours s’inscrit dans l’amour du jazz « historique ». J’ai donc fait de très nombreux séjours à New-York pour mieux comprendre cette musique et la vivre dans son contexte culturel et social. Je vis à Paris depuis 1997 (Montreuil).
En 2003, j’ai fait mon premier stage avec Barry Harris. Pianiste originaire de Detroit, Barry a modélisé et créé des outils pour l’acquisition du langage du jazz depuis les années 1950. Coltrane lui-même est allé le voir pour lui demander ses systèmes. J’ai eu l’opportunité de suivre Barry Harris pendant 15 ans dans ses Masterclass à New-York, La Haye, Rome, et Paris.
La magie du jazz, c’est que c’est un langage en soi permettant de communiquer avec toute autre personne le maîtrisant. Pour moi cette maîtrise inclus, outre la technique musicale et l’improvisation, la connaissance du répertoire (les standards). C’est cette connaissance qui fait que tous les jazzmen du monde peuvent jouer ensemble malgré les différences stylistiques.
Un lieu insolite ou original dans lequel tu as joué ?
J'ai souvent joué dans les rues et au cœur de la nature. Je me souviens particulièrement d'un voyage au Cambodge. J'ai passé quatre jours à Kratie, une charmante petite ville située au bord du Mékong, en remontant vers le Laos. Là-bas, le Mékong s'étire sur des centaines de mètres de largeur. J'avais déniché une petite guérite dominant le fleuve et je m'y rendais tous les après-midis pour jouer jusqu'à ce que le soleil se couche, illuminant d'une teinte rougeoyante les eaux en contrebas. C'est à cet endroit que j'ai composé « Sunset in Kratie », un morceau que je continue d'interpréter. Les habitants khmers circulant à moto non loin de là s'arrêtaient parfois, intrigués par la musique. Je me souviens d'une jeune femme captivée par le son de mon saxophone ; c'était probablement la première fois qu'elle entendait cet instrument. Plus tard lors de ce même voyage au Laos, j'ai eu l'opportunité de participer à une jam session improvisée lors d'une cérémonie funéraire bouddhiste. Assis en tailleur, nous étions entourés par le son mélodieux de l’orgue à bouche lao, les chants poétiques et, bien sûr, mon saxophone.
As-tu des projets musicaux en cours ou à venir que tu aimerais présenter à la communauté Steuer ?
Récemment, j'ai enregistré un album live en quartet en mars 2023. J'aimerais également donner une suite à mon projet « Organ Power! », dont l'album a vu le jour en 2021 sous le label Fresh Sound. Actuellement, je me penche sur l'idée d'un nouvel opus dans le cadre de mon projet réunionnais, une fusion entre le maloya de La Réunion et le jazz. Nous avons déjà sorti trois albums pour ce projet, avec le dernier intitulé « Dalonaz » publié en 2022 chez Breakz. D'ailleurs, une tournée est prévue pour octobre 2023.
En tant qu'ambassadeur Steuer, quel modèle joues-tu ?
Je joue les anches Steuer alto jazz 2.5 avec un bec Selmer Soloïst (1950) refacé en 8*. J’aime les anches Steuer car elles ont une très bonne tenue dans le temps. Elles me conviennent très bien, attaque et timbre.
Tu as découvert notre atelier et le processus de fabrication des anches 100% françaises. Qu’as-tu retenu de cette visite ?
J’ai beaucoup aimé visiter l’atelier. On y voit l’ensemble du processus de fabrication à une petite échelle et l’exigence de qualité. Cette dimension artisanale m’a beaucoup plu. C’est très intéressant de voir les étapes du processus de fabrication depuis la canne, la matière première, jusqu’à l’anche finie.
Peux-tu partager une anecdote ou un moment inoubliable dans ta carrière de musicien ?
Un souvenir particulièrement marquant : c'était lors de la Journée Internationale du Jazz à Paris, ça devait être en 2018. En arrivant sur place, j'ai été surpris de voir que les tables du premier rang avaient été réservées avec des petits cartons portant les noms de Herbie Hancock, Wayne Shorter, Marcus Miller... C'était un moment mémorable.
Comment t’es venue l’idée d’associer Jazz et musique traditionnelle réunionnaise (Maloya) ?
Lors d'un voyage à la Réunion en 2011, je suis tombé par hasard sur le Maloya. J'ai été captivé par la musique, touché par la puissance de sa pulsation ternaire et la profondeur de ses chants. Cette découverte m'a poussé à explorer cette musique plus en profondeur et à envisager une collaboration avec des musiciens de Maloya. Pour intégrer mon approche d’improvisateur de jazz, j'ai compris qu'il fallait créer un contexte musical unique. J'ai ainsi envisagé une orchestration incorporant à la fois l’orgue et les percussions réunionnaises, et commencé à élaborer mes propres compositions. Dans cette exploration, la musique classique ancienne, notamment Bach et Pachelbel, m'a également influencé. Il s'agissait d'une manière de juxtaposer l’héritage européen ancestral avec l’héritage africain de la percussion et du chant du Maloya.
Aujourd’hui la musique du groupe est aboutie, originale, pulsative, poétique, c’est une musique universelle issue du plaisir de partager un instant commun riche de nos différentes cultures. Avec trois albums à notre actif et plus de 200 concerts en huit ans, nous nous sommes produits à la Réunion, en France, en Inde, à Madagascar et en Espagne.
Comment vois-tu l’évolution du Jazz dans les prochaines années ?
Pour moi, le jazz est avant tout une musique populaire, ancrée dans un territoire et proche des gens. Il a ce pouvoir d'unir les générations. Il évolue différemment selon les lieux et les contextes dans lesquels il est joué. J’aime sa spontanéité, son humanité et son aspect vivant et direct. Je le perçois ainsi, loin des préoccupations marketing.
« L’improvisation est une philosophie de vie ». Que t’inspire cette phrase ?
L’improvisation est un art, on pourrait dire un art de vivre. L’écoute est un aspect fondamental dans l’improvisation de jazz : que jouent les autres membres de l’orchestre ? L’improvisation est une création collective qui inclut tous les membres du groupe. Tout le monde crée en même temps le tempo, l’harmonie, la densité sonore, le rebond.
De manière philosophique on pourrait dire que l’improvisation est l’art de trouver sa place dans le monde, en fonction des autres, du contexte, et cela évolue en permanence ; rien n’est statique et définitif, tout se recrée à chaque seconde. La magie de la musique c’est de vibrer ensemble sur un moment de vie commun. Il y a aussi la question du « propos » : qu’est-ce que j’aimerais dire au monde, partager avec les autres, quelle esthétique présenter. Le jazz historique est new-yorkais, urbain.
Qu’est ce qui te plait dans l’esprit « Jam Session » ?
J’adore la Jam Session. Pour moi, c’est un moment important de la musique de jazz.
Tout le monde peut participer avec son niveau et son style. C’est donc l’occasion de rencontrer des nouveaux musiciens dans un moment informel. Il y a l’émulation, le désir de bien faire, de se confronter à la difficulté, à des musiciens meilleurs que soi.
C’est l’occasion de revisiter des standards que l’on a déjà joué des centaines de fois et, à travers ces standards, raconter notre propre histoire. On peut voir les évolutions au fil du temps sur le même matériel musical en jouant des choses différentes.
Pour moi la connaissance et la pratique des standards est fondamentale. J’adore jouer de la musique originale. Cependant la connexion avec l’histoire du jazz est toujours présente.
Je pense qu’un bon objectif pour un musicien de jazz serait de connaître environ 500 standards dont environ 50 ballades. Les standards sont ce qu’on appelle « The American Song Book » c’est à dire les morceaux de Broadway et les compositions des jazzmen historiques plus un certain nombre de succès plus tardifs. La connaissance des disques est importante également. La culture du jazz c’est avoir des disques de chevet qu’on a écouté 50 fois, 100 fois.
Voici quelques-uns des miens :
Cedar Walton - « Eastern Rebellion »
Clifford Jordan - « Glass Bead Games »
Gene Ammons - « Boss Tenor »
Duke Pearson - « Sweet Honey Bee »
« At ease with Coleman Hawkins »
John Coltrane - « Giant Steps »
Duke and Trane
Tommy Flanagan - « Trio and Sextet »
Yusef Lateef - « Into Something »
Jackie McLean - « Bluesnik »
Art Blakey - « Mosaic »
Ernie Henry - « Seven Standards and a blues »
Miles Davis - « In a Silent Way »
Key Jarret - « Personal Mountain »
Tant que je n’ai pas en ma possession l’album physique CD ou vinyle, cela ne fonctionne pas aussi bien.